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Vivre.

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" Ainsi Thomas vécut sa vie au jour le jour, caressant le vague espoir de s'en aller quelque part en marge, loin de ce tumulte. La nuit, resté seul à seul avec lui-même, il serrait les paupières et imaginait une foule sombre, effrayante par son énormité. Entassée dans une sorte de ravin plein d'une brume de poussière, dans un vacarme confus elle tournait en cercle sur place et ressemblait au grain dans l'auget du moulin. On eût dit qu'une meule invisible, cachée sous leurs pieds, broyait ces gens et qu'ils se mouvaient en vagues sous elle, tantôt s'élançant vers le bas pour être broyés plus vite et disparaître, tantôt se ruant vers le haut pour tenter d'échapper à la meule impitoyable...

Il avait envie de les saisir au collet, de les arracher les uns aux autres, de démolir les uns, de cajoler les autres, de les réprimander tous, de leur apporter une lumière qui les éclairât...

Il ne trouvait rien en lui-même, ni les mots nécessaires, ni la lumière, rien que ce désir qu'il pouvait concevoir mais non réaliser... Il se voyait à l'extérieur du ravin où s'agitait ce bouillonnement humain ; il se voyait solidement planté sur ses jambes et muet. Il aurait pu crier :

- De quelle façon vivez-vous ? N'est-ce pas une honte ?

Mais si, au son de sa voix, ils avaient demandé :

- Mais comment faut-il vivre ?

Il comprenait parfaitement qu'après une telle question il aurait été dans l'obligation de dégringoler de haut, là-bas, sous les pieds des gens, vers la meule. Et des rires auraient salué sa perte. "

 

Maxime Gorki : " Thomas Gordeiev " Editeurs Français Réunis, 1950

" Il y a chez l'homme une sorte de fixatif, c'est-à dire de sentiment absurde et plus fort que la raison, qui lui laisse entendre que ces enfants qui jouent sont une race de nains, au lieu d'être des ôte-toi de là que je m'y mette.

   Vivre est une chute horizontale.

   Sans ce fixatif une vie parfaitement et continuellement consciente de sa vitesse deviendrait intolérable. Il permet au condamné à mort de dormir.

   Ce fixatif me manque. C'est, je suppose, une glande malade. La médecine prend cette infirmité pour un excès de conscience, pour un avantage intellectuel.

   Tout me prouve chez les autres le fonctionnement de ce fixatif ridicule, aussi indispensable que l'habitude qui nous dissimule chaque jour l'épouvante d'avoir à se lever, à se raser, à s'habiller, à manger. Ne serait-ce que l'album de photographies, un des instincts les plus cocasses de faire d'une dégringolade une suite de monuments solennels.

   L'opium m'apportait ce fixatif. Sans opium, les projets : mariages, voyages, me paraissent aussi fou que si quelqu'un qui tombe par la fenêtre souhaitait se lier avec les occupants des chambres devant lesquelles il passe."

 

Jean Cocteau :  "Opium, journal d'une désintoxication" Éditions Stock, 1930

" On fait tous l'éloge du rêve qui est la compensation de la vie.Mais c'est le contraire, docteur. Vivre est nécessaire pour se reposer de ses rêves "

 

Mia Couto :  " Poisons de Dieu, remèdes du Diable " lu dans Télérama 3288 du 16/01/2013

Parce que ça grandit l'homme, De vivre sans parler, Vivre sans paroles Et d'apprendre à se taire...

 

Gérard Manset ,  "Finir pêcheur"

" Je suis un écrivain, pas un romancier. Je n'écris pas pour raconter des histoires mais pour dire ce que je pense. Les personnages sont là pour exprimer mes idées. J'aimerais qu'après avoir lu un de mes livres, les gens n'aillent pas travailler le lendemain, qu'ils comprennent que l'ambition de vivre est suffisante, que nulle autre ambition ne vaut ! Dans mes livres, j'ai réussi à tout dire. "

 

Albert Cossery : entretien dans le Magazine Littéraire n° 447 Novembre 2005

Par Auteurs
M. de Kerangal
Sylvie Germain
Pirandello
Virginia Woolf
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