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Guerre

" Les hommes sont bêtes et ignorants. De là vient leur misère. Au lieu de réfléchir, ils croient ce qu'on leur raconte, ce qu'on leur enseigne. Ils se choisissent des chefs et des maîtres sans les juger, avec un goût funeste pour l'esclavage.
  Les hommes sont des moutons. Ce qui rend possibles les armées et les guerres. Ils meurent victimes de leur stupide docilité.
  Quand on a vu la guerre comme je viens de la voir, on se demande : " Comment une telle chose est-elle acceptée ? Quel tracé de frontières, quel honneur national peut légitimer cela ? Comment peut-on grimer en idéal ce qui est banditisme, et le faire admettre ? "
  On a dit aux Allemands : " En avant pour la guerre fraîche et joyeuse ! Nach Paris et Dieu avec nous, pour la plus grande Allemagne ! " Et les bons Allemands paisibles, qui prennent tout au sérieux, se sont ébranlés pour la conquête, se sont mués en bêtes féroces. 
  On a dit aux Français : " On nous attaque. C'est la guerre du Droit et de la Revanche. A Berlin ! " Et les Français pacifistes, les Français qui ne prennent rien au sérieux, ont interrompu leurs rêveries de petits rentiers pour aller se battre. 
  Il en a été de même pour les Autrichiens, les Belges, les Anglais, les Russes, les Turcs, et ensuite les Italiens. En une semaine, vingt millions d'hommes civilisés, occupés à vivre, à aimer, à gagner de l'argent, à préparer l'avenir, ont reçu la consigne de tout interrompre pour aller tuer d'autres hommes. Et ces vingt millions d'individus ont accepté cette consigne parce qu'on les avait persuadés que tel était leur devoir. 
  Vingt millions, tous de bonne foi, tous d'accord avec Dieu et leur prince... Vingt millions d'imbéciles... Comme moi ! "

Gabriel Chevallier " La Peur "  Le Dilettante 2008

." J'étais un mercenaire professionnel. Je n'avais aucun remords, même quand je préferais me dépêcher pour aller transmettre mes photos que m'arrêter pour aider un enfant blessé. Nous étions tous comme ça....
 Je ne crois pas aux journalistes qui affirment partir pour témoigner, rendre compte du monde... J'avais vingt ans, et je partais pour l'aventure. C'était excitant. Je voulais approcher la guerre, me taper plein de filles, vivre des choses. Quand on a vingt ans, on est cruel....
 Les intellectuels dans la guerre ? Je déteste tous ces gens, les Bernard - Henri Lévy et autres, qui débarquent dans les guerres, mettent à peine le pied dehors et tissent ensuite des théories sur l'horreur et la monstruosité. Et que je te cite Malraux, et souviens-toi de " La Condition Humaine" . Et " Au coeur des ténèbres "... Ah, " Au coeur des ténèbres "! La référence suprême : on n'y échappait jamais...

Arturo Pérez-Reverte : extrait d'un entretien dans le magasine Transfuges n° 14 de Janvier 2007

" J'étais à Sarajevo pendant le siège de la ville. J'ai été frappé par le fait que plus les affaires des hommes se détériorent, plus la maîtrise qu'ils exercent sur leur propre destin se relâche, plus les chiens errants se manifestent... On remarque leur présence, mais ils ne sont pas nécessairement plus nombreux... La suspension des activités humaines normales entraîne l'arrêt de la circulation automobile, de la production industrielle, la fermeture des commerces... Ca laisse une très grande marge de manoeuvre aux chiens... Une ville en guerre est généralement très silencieuse : après les périodes de combat très bruyantes, on vit de longs intervalles de silence... Dans cette absence de sons tout à fait inhabituelle, on distingue des choses que l'on remarque moins d'habitude comme les chants d'oiseaux, les aboiements de chiens errants ou non. A Sarajevo, il y avait parfois la nuit des concerts de chiens formidables ! "

 

Jean Rolin : extrait d'entretien pour le magazine Transfuges n°28, mars 20

(Yacouba) est venu un matin me voir. Il m'a pris à part et, en secret, il m'a fait des confidences. Le Liberia était un pays fantastique. Son métier à lui, multiplicateur de billets de banque, était un boulot en or là-bas. On l'appelait grigriman. Un grigriman est un grand quelqu'un de la-bas. Pour m'encourager à partir, il m'a appris des tas d'autres choses sur le Liberia. Faforo (sexe de mon papa) !
Des choses merveilleuses. Là-bas, les enfants de la rue comme moi devenaient des enfants-soldats qu'on appelle en pidgin américain d'après mon Harrap's small-soldiers. Les small-soldiers avaient tout et tout. Ils avaient des kalachnikov. Les kalachnikov, c'est des fusils inventés par un Russe qui tirent sans s'arrêter. Avec les kalachnikov, les enfants-soldats avaient tout et tout. Ils avaient de l'argent, même des dollars américains. Ils avaient des chaussures, des galons, des radios, des casquettes, et même des voitures qu'on appelle des 4 X 4. J'ai crié Walahé ! Walahé ! Je voulais partir au Liberia. Vite et vite. Je voulais devenir un enfant-soldat, un small-soldier. Un enfant-soldat ou un soldat-enfant, c'est kif-kif pareil. Je n'avais que le mot small-soldier à la bouche. Dans mon lit, quand je faisais caca ou pipi, je criais seul small-soldier, enfant-soldat, soldat-enfant !

Un matin, au premier chant du coq, Yacouba est arrivé à la maison. Il faisait encore nuit ; grand-mère m'a réveillé et m'a donné du riz sauce arachide. j'ai beaucoup mangé. Grand-mère nous a accompagnés. Arrivés à la sortie du village où il y a les décharges du village, elle m'a mis dans la main une pièce d'argent, peut-être toute son économie. Jusqu'à aujourd'hui je sens le chaud de la pièce dans le creux de ma main. Puis elle a pleuré et est retournée à la maison. Je n'allais jamais plus la revoir. Ça, c'est Allah qui a voulu ça. Et Allah n'est pas juste dans tout ce qu'il fait ici-bas.

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Ahmadou Kourouma, extrait de : "Allah n'est pas obligé", Editions du Seuil, 2000
 

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Nous sommes la guerre Iran-Irak,

les déserts rouges, les tranchées,

les cadavres et les mouches dans les yeux,

les bouches des martyrs couchés aux creux des dunes éventrées.

Nous sommes les mères qui pleurent,

les tombes qui fleurissent et pas les fleurs.

Nous sommes les fontaines de sang,

la folie et l'espoir...

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Cécile Ladjali : chronique dans le Magazine Littéraire n°545, juillet-août 2014

Par Auteurs
M. de Kerangal
Sylvie Germain
Pirandello
Virginia Woolf
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