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Villes

Ici ou là

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Des villes et des lieux dans la littérature

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Gênes

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" J'ai contemplé un long moment cette ville, ses villas et ses jardins d'agrément, et le vaste cercle de ses hauteurs et de ses pentes habitées ; je dois dire finalement  : je vois des visages appartenant aux générations passées, - cette région est émaillée de copies d'hommes intrépides et maîtres d'eux-mêmes. Ils ont vécu et ont voulu continuer de vivre - c'est ce qu'ils me disent au moyens de leurs maisons, bâties et ornées pour des siècles, et non pour l'heure fugitive ; ils furent bons envers la vie, si méchants qu'ils aient pu être bien des  fois envers eux-mêmes. Je vois toujours le bâtisseur fixer le regard sur tout ce qui, proche ou lointain, a été bâti autour de lui, et, ville, mer ou chaîne de montagnes de la même manière, exercer sa force et conquérir par ce regard : il veut intégrer tout cela à son plan et finir par se l'approprier en en faisant un élément de ce plan. Toute cette région regorge de ce somptueux égoïsme insatiable qui prend plaisir à la possession et au butin ;  et de même que ces hommes ne connurent au loin aucune frontière et que, dans leur soif de nouveau, ils placèrent un nouveau monde à côté de l'ancien, de même, dans leur patrie également, chacun s'insurgea sans cesse contre chacun et inventa une manière d'exprimer sa supériorité et de placer entre lui-même et son voisin son infinité personnelle. Chacun se conquit une nouvelle fois sa patrie pour lui-même en la subjuguant au moyen de ses pensées architecturales et en la transformant en quelque sorte en panorama délicieux pour sa maison. Ce qui frappe dans le Nord, quand on considère la manière dont les villes ont été bâties, c'est la loi et le plaisir commun pris à la légalité et à l'obéissance : on y devine cette soumission intérieure de soi, cette intégration à un ordre qui ont dû dominer l'âme de tous les bâtisseurs. Mais ici on trouve à chaque coin de rue un homme à part qui connaît la mer, l'aventure et l'Orient, un homme rebelle à la loi et au voisin où il voit une chose ennuyeuse, et mesure tout ce qui est déjà fondé, ancien, d'un regard jaloux : il voudrait, par une extraordinaire astuce de l'imagination fonder tout cela une fois encore, à tout le moins en pensées, y porter la main, y introduire son sens - ne serait-ce que pour l'instant d'un après-midi ensoleillé où son âme insatiable et mélancolique se sent pour une fois rassasiée, et où seul peut se montrer à son œil du personnel et plus rien d'étranger."

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Nietzsche, Le gai Savoir, 1882

Sarajevo

 

 

" J'étais à Sarajevo pendant le siège de la ville. J'ai été frappé par le fait que plus les affaires des hommes se détériorent, plus la maîtrise qu'ils exercent sur leur propre destin se relâche, plus les chiens errants se manifestent... On remarque leur présence, mais ils ne sont pas nécessairement plus nombreux... La suspension des activités humaines normales entraîne l'arrêt de la circulation automobile, de la production industrielle, la fermeture des commerces... Ca laisse une très grande marge de manoeuvre aux chiens... Une ville en guerre est généralement très silencieuse : après les périodes de combat très bruyantes, on vit de longs intervalles de silence... Dans cette absence de sons tout à fait inhabituelle, on distingue des choses que l'on remarque moins d'habitude comme les chants d'oiseaux, les aboiements de chiens errants ou non. A Sarajevo, il y avait parfois la nuit des concerts de chiens formidables ! "

 

Jean Rolin : extrait d'entretien pour le magazine Transfuges n°28, mars 2009

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Barcelone et New-York

 

" Pour moi, l'Europe n'a pas de frontière, moyennant quoi ses habitants ne prennent aucun risque. Balade-toi un jour sur le Paseo de Gracia de Barcelone, tu ne verras que des femmes de la bonne bourgeoisie en manteau de fourrure qui lèchent les vitrines  en hauts talons et mise en plis sophistiquée. On a ça aussi à New-York, mais ici les femmes en manteau de fourrure et chaussures Gucci doivent enjamber un sdf pour rentrer dans leur immeuble chic. Au moins, à New-York, ces femmes sont confrontés à la futilité de leur existence. A Barcelone, elles n'ont pas la moindre putain d'idée qu'elles vivent dans le Connecticut. Des questions ? "


Extrait de dialogue  dans le bouquin de Tom Spanbauer :  " Dans la ville des chasseurs solitaires" 2003

 

Paris

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  Paris

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" Au printemps à Paris, fleurissent les marronniers. Les premiers à s'épanouir sont ceux du boulevard Pasteur, là où le métro jaillit de dessous la terre et où l'air chaud s'élève par vagues jusqu'aux arbres. En automne, sur les Champs-Élysées, les feuilles avant de tomber prennent une teinte brun-foncé, couleur cigare. En été, durant quelques jours, le soleil se couche en plein centre de l'Arc de Triomphe, vu depuis la place de la Concorde. Les jardins des Tuileries sont les plus beaux de Paris parce qu'ils font partie d'un ensemble ; et face au globe ardent du soleil qui inonde de ses rayons la dalle de L'Arc, on finit par se confondre avec cet ensemble, comme devant le tableau de Rembrandt, Aristote contemplant le buste d'Homère. Il n'y a pas à proprement parler d'hiver à Paris. Il pleut et les gouttes d'eau clapotent et chuchotent contre les vitres et sur les toits. Soudain, en janvier, vers la fin du mois, vient un jour où tout resplendit : il fait bon et le ciel est bleu. Sur les terrasses des cafés, les clients ont quitté leur manteaux et les femmes, vêtues de robes légères, transfigurent la ville. On a beau savoir qu'il reste encore deux mois de mauvais temps à passer, personne n'y fait allusion. Chaque année, ce jour revient telle une fête mobile qui tomberait entre le 20 janvier et le 5 février, laissant sur son passage un parfum de promesse..."

 

Nina Berberova : extrait de " C'est moi qui souligne" Actes Sud, 1989

Paris

 

 

" Avec les pêcheurs et la vie sur le fleuve, les belles péniches et leurs mariniers, vivant à bord, les remorqueurs avec leurs cheminées qui se rabattaient d'avant en arrière au passage des ponts, tirant tout un train de péniches, les grands ormes sur les berges de pierre, le long du fleuve, les platanes, et, par endroits, les peupliers, je ne pouvais jamais me sentir seul au bord de la Seine. Il y avait tant d'arbres dans la ville, que vous pouviez voir le printemps se rapprocher de jour en jour jusqu'au moment où une nuit de vent chaud l'installerait dans la place, entre le soir et le matin. Parfois d'ailleurs les lourdes pluies froides le faisaient battre en retraite et il semblait qu'il ne viendrait jamais et que ce serait une saison de moins dans votre vie. C'était le seul moment de vraie tristesse à Paris, car il y avait là quelque chose d'anormal. Vous vous attendez à être triste en automne. Une partie de vous-même meurt chaque année, quand les feuilles tombent des arbres dont les branches demeurent nues sous le vent et la froide lumière hivernale ; mais bous savez déjà qu'il y aura toujours un printemps, que le fleuve coulera de nouveau après la fonte des glaces. Aussi, quand les pluies froides tenaient bon et tuaient le printemps, on eût dit la mort inexplicable d'un adolescent.
   Et même si le printemps finissait toujours par venir, il était terrifiant de penser qu'il avait failli succomber."

 

Ernest Hemingway : extrait de "Paris est une fête", Gallimard, 1964

Par Auteurs
M. de Kerangal
Sylvie Germain
Pirandello
Virginia Woolf
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