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Croire

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De nos jours, alors que la richesse du monde ne cesse de croître, en même temps que le nombre de miséreux, nous sommes tenus de ménager tous les croyants, y compris ceux qui croient en n'importe quoi. Ceux qui ne croient en rien n'ont pas d'autre issue que de se mettre à croire en quelque chose, n'importe quoi, pour obtenir attention et respect ; et de la sorte, quand chaque homme de cette planète sera un croyant confirmé, le chapitre de la pensée et des jeux de l'esprit libre sera clos. Pas d'innovation, pas d'antagonisme, pas de sédition...

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Boualem Sansal : " Le train d'Erlingen, ou la métamorphose de Dieu"  Gallimard, 2018

"L'idée du réalisme me fait rire. Et la confiance que bien des lecteurs ont en lui. Un genre d'écrivains que j'aime, les voltairiens romantiques, est le seul à oser leur dire : ne nous croyez pas. La littérature vaut mieux que la croyance.

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Charles Dantzig : "Pourquoi lire", grasset et fasquelle, 2010

Shabbat à Williamsburg, où vit une très importante communauté hassidique (juif orthodoxe). New York, 2014

  "J'ai une question à te poser annonça Chezky  dans le hall de la synagogue, où nous avions l'habitude de nous retrouver avant les prières du vendredi soir. As-tu déjà songé au fait que tes croyances religieuses, comme ta naissance dans l'État de New-York, résultent d'une succession de hasards et de coïncidences ? Et que si tu avais grandi dans une famille catholique ou musulmane, tu serais tout aussi convaincu par leurs enseignements que tu l'es des nôtres aujourd'hui ? Toi qui tiens tant à croire aveuglément, n'es-tu pas troublé par le caractère terriblement arbitraire de tes croyances ?"

   Aussi élémentaire soit-elle, cette question ne m'avait jamais traversé l'esprit jusqu'alors. Elle n'appelait pas vraiment de réponse, d'autant que les grands sages du judaïsme l'avaient résolu depuis longtemps - j'en étais convaincu. De quel droit aurais-je remis en cause une telle évidence ?

   La question me tarauda pourtant toute la soirée. J'éprouvais un léger agacement envers Chezky. Pourquoi se montrait-il si insistant me demandai-je en rentrant chez moi. Je revenais sans cesse au problème rhétorique qu'il m'avait posé, comme on ne peut s'empêcher de gratter une cicatrice qu'il faudrait laisser tranquille. Quelle était la solution ? Malgré moi, je ne pouvais m'empêcher de m'interroger : si je n'avais pas été élevé dans la religion juive, l'aurais-je choisie ? Si ,mes parents et mes professeurs ne m'avaient pas appris à réciter le Chema Israël à deux ans, "Torah Tsiva Lanou Moshe" à trois ans, les prières et les Psaumes à quatre, la Bible à cinq et le Talmud à huit ans, aurais-je cru à ces principes fondateurs comme j'y croyais à présent ?...


 

 Ainsi que je l'apprendrais par la suite, beaucoup de croyants ayant perdu la foi perçoivent dans les apports de la recherche scientifique le catalyseur de leur changement de vision du monde. C'était mon cas : la plupart de mes lectures dans ce domaine me déconcertaient. Les idées que j'avais toujours tenues pour acquises, confiant dans la parole des rabbins, certains que les textes sacrés recelaient des vérités absolues, m'apparaissaient désormais comme douteuses, voire fallacieuses. L'univers n'avait pas six mille ans, comme je l'avais toujours cru, mais plutôt quatorze milliards d'années ; loin d'être l'espèce noble et privilégiée façonnée par la main de Dieu à partir d'une poignée de terre au sixième jour de la Genèse, l'homme partageait un ancètre commun avec le chimpanzé - et même avec tout le règne animal. Sur ce point au moins, les Sages du Talmud, qu'on nous disait infaillibles, s'étaient manifestement fourvoyés...

     En posant sur le Talmud un regard plus critique, je m'apercevais que l'enseignement des Sages était entaché, comme tous les écrits de leur époque, par la superstition, la misogynie et la xénophobie, autant de failles qui ne faisaient pas nécessairement de ces auteurs des vauriens, mais les rendaient soudain plus humains et plus ordinaires à mes yeux.

   Enfin, rien ne fut plus dévastateur pour ma foi que la prise de conscience du caractère profondément humain de la Bible hébraïque, notre texte le plus sacré. Dès l'instant où je commençais à entrevoir la main de l'homme, et non celle de Dieu, dans ces pages splendides et bouleversantes, infiniment complexes, tissées de poésie et de métaphores, je ne fus plus capable de revenir sur mes pas.

  D'après le Zohar, le texte du XIIIème siècle qui a donné naissance à la mystique juive, "Dieu a contemplé la Torah et créé l'univers" La Torah, divine et éternelle, est le modèle et la matrice de toute création.

    Je l'avais cru, moi aussi. À présent, je posais un autre regard sur le texte sacré. Je découvrais que La Torah, l'essence même de notre foi, loin d'être un document immuable transmis de génération en génération depuis trois mille cinq cents ans, résultait manifestement d'un assemblage de fragments issus de la Haute Antiquité, patiemment compilés et remaniés au cours des siècles suivants. Telle était du moins la vision qu'en offraient tous les spécialistes de la datation des textes bibliques. Rien ne m'obligeait à les croire, mais les preuves qu'ils avançaient à l'appui de leurs démonstrations me parurent irréfutables. Soudain, le caractère profondément étrange de ce texte - ses contradictions, ses anachronismes, cette accumulation déconcertante de crimes fratricides, de génocides, de miracles et de drames familiaux - prenait sens à mes yeux, mais un sens bien différent de celui qui m'avait été inculqué. Si, d'un point de vue historique et anthropologique ( point de vue que soutenaient les récentes découvertes archéologiques et la comparaison avec d'autres textes antiques du Proche-Orient), la Bible ouvrait indéniablement une fenêtre fascinante sur le monde de nos ancêtres, d'un point de vue théologique, pour moi, elle ne tenait plus la route..."

 

Shulem Deen : extrait de "Celui qui va vers elle ne revient pas" Globe, l'école des loisirs, 2017

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