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Consommation

" Bien que le hall de l'aéroport soit entièrement couvert, les boutiques affectaient la forme de huttes, avec des montants en teck et un toit de palmes. L'assortiment de produits mêlait les standards internationaux ( foulards Hermès, parfums Yves Saint Laurent, sacs Vuitton ) aux productions locales ( coquillages, bibelots, cravates de soie thaÏe ) ; tous les articles étaient repérés par des codes barre. En somme, les boutiques de l'aéroport constituaient encore un espace de vie nationale, mais de vie nationale sécurisée, affaiblie, pleinement adaptée aux standards de la consommation mondiale. Pour le voyageur en fin de parcours il s'agissait d'un espace intèrmédiaire, à la fois moins intéressant et moins effrayant que le reste du pays. J'avais l'intuition que, de plus en plus, l'ensemble du monde tendrait à ressembler à un aéroport. "

Michel Houellebecq : " Plateforme "

" J'ai un handicap : je ne crois pas à la consommation, à la culture prédigérée. Je suis un has been ! Un de mes anciens professeurs m'a tancé : ton livre est sans espoir ! J'ai râlé : mais moi, je ne suis ni curé ni politicien. Qui serais-je pour porter un drapeau, dicter des lois, une morale ? Vas-y toi ! Un romancier n'est pas un curé qui s'adonne aux sermons de pacotille, s'évertue à nous faire croire aux mérites d'un paradis vertueux. Un romancier n'est pas un homme politique qui, tout à sa propre gloire, entonne de fausses promesses, utilise un language vulgaire. Un romancier n'est pas un psychiatre qui diagnostique le mal et tente de le soulager. Un romancier raconte le monde tel qu'il est, avec sa matière à lui, les matériaux qu'il s'est forgés. "

 
Rafael Chirbes : entretien dans Télérama 3092, 15 avril 2009 ( dernier livre paru :Sur le rivage, ed. Rivages 2015)

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" Difficile d'être heureux. Peu importe le genre. Dans le cas de la femme, malgré une certaine libération d'ordre plutôt sexuel et professionnel, elle reste assez esclave de la forme. Il existe une crainte atroce du temps qui passe, partagée par les hommes et les femmes, qui a transformée la société en une sorte de galerie de monstres : des vieux déguisés en enfants, des gros au régime, des jeunes filles qui vomissent. Le corps est devenu un objet de consommation, c'est-à-dire un bien rejetable. Mûrir manquerai de valeur. Les superficies se sont imposées. Tout se voit de l'extérieur, comme dans une boucherie de supermarché où rien d'autre ne compte que ce qui est sous nos yeux. Une belle enveloppe où se cache le néant. Pas le temps d'approfondir, personne ne veut souffrir et c'est pourquoi l'idiotie est monnaie courante. "

 

Fernanda Garcia Lao :  extrait d'entretien pour le magazine Le Matricule des Anges, juin 2012

" Parfois l'on se rencontre et c'est la concordance heureuse des cœurs, des corps et des âmes. Un regard, un sourire, l'accord parfait : on n'a pas besoin de trop s'en dire, on se comprend. Même chose avec les livres : il arrive que la lecture commence, et déjà l'on jubile, de la lucide jubilation qui sait reconnaître une œuvre qui vient à son heure exacte : on a l'âge qu'il faut pour pleinement l'apprécier. C'est un peu le sentiment que j'ai éprouvé,arrivé au milieu de ma lecture des Choses de Georges Perec. Plus jeune, même à l'âge des protagonistes Sylvie et Jérôme ( vingt-deux et vingt-quatre ans ), j'aurais été moins sensible à leurs soucis. Plus vieux... je n'en sais rien, je n'y suis pas encore. Mais là, c'était exactement ça : j'avais vécu les mêmes moments, je m'étais posé les mêmes questions, quelques années auparavant. Question d'âge. Question, aussi, de "civilisation", comme si Perec avait mis le doigt, dans ce court roman, presque une nouvelle, sur la situation dans laquelle nous baignons encore.

Cette situation, quelle est-elle ? On l'a beaucoup dit : dans les années 1960, un couple croît au bonheur que lui promet la société de consommation - au bonheur des choses. Il se perd dans l'univers factice des apparences, du plaisir d'une possession qui toujours lui échappera, car il y aura toujours mieux à posséder. Il manque le bonheur qui pourrait être le sien dans l'attente d'un bonheur qui est toujours au-delà de lui, proche en cela du pathétique protagoniste de La Bête dans la jungle de Henry James. Demain , on rase gratis... Jérôme et Sylvie mènent une vie au conditionnel, comme dans la fameuse ouverture du récit, description d'un appartement rêvé, idéalement meublé, qu'ils ne possèdent pas ( " L’œil, d'abord, glisserait sur la moquette grise d'un long corridor, haut et étroit. Les murs seraient des placards de bois clair..." ). Le récit sera d'ailleurs ponctué de descriptions d'appartements : après l'appartement idéal, tout droit sorti d'un catalogue de vente, l’appartement réel, forcément décevant. Et puis celui que le couple occupe à Sfax, en Tunisie, pour quelque temps. La magnifique villa dans laquelle ils sont alors reçus, lors de leur séjour, et dont ils ne voient pas, dont ils ne peuvent plus voir, déjà usés par la vie, qu'elle est justement celle dont ils rêvaient.

Cette jeunesse qui vit dans le sentiment que la vie, la vraie, le monde plus réel et plus authentique, commencera après, demain, , mais pas maintenant, cette jeunesse existe encore. Elle est bien comme ces personnages dont Perec dit, en une formule merveilleusement paradoxale, qu'ils "auraient aimé vivre" - énoncé aussi impossible que le "je suis mort" de Blanchot. C'est une jeunesse qui travaille, souvent - pas toujours. Elle a connu un certain confort dans son enfance, et puis, à présent que la France se retrouve au niveau des pays "moyen-pauvres", comme dirait Houellebecq, elle expérimente la difficulté, la lutte pour la survie, les études plaisantes qui n'ont servi à rien, les appartements qui rétrécissent, l'amertume de s'être trompés de vie. Qui n'a pas vécu ces dernières décennies dans une grande ville occidentale ne comprendra pas cette obsession de la place gagnée dans l'appartement qui est celle de Sylvie, de Jérôme et de leurs amis. Le monde a fiché en eux une aspiration au confort que la médiocrité de leur situation leur interdit. Entre eux et ce monde, celui des objets de consommation qu'ils contemplent avec envie derrière des vitrines, il y a l'argent. Ou plutôt : le manque d'argent...

En même temps, je dois bien reconnaître que la proximité que j'ai à plus d'un moment ressentie à l'égard des protagonistes des Choses m'a conduit à me poser quelques questions : ces appartements trop petits, ces amitiés lâches construites par une proximité plus professionnelle que sensible, qui nous fait voir trop souvent des êtres que nous apprécions trop peu... Et même les rêveries d'aménagement intérieure de ma chère et tendre, son goût totalement irréel pour le "design années 50" qui l'a encore récemment occupée pendant de longs mois, s'interrogeant sur l'opportunité de commander à un particulier tel buffet qu'il aurait fallu chercher à Bonifacio ou à Brest pour l'installer à Paris, tout cela parce qu'il évoquait vaguement une ligne Mallet-Stevens ou Le Corbusier... Indéniablement, il y avait de la ressemblance - et pas particulièrement flatteuse. J'en arrivais à chercher en moi tout ce qui me distinguait de Jérôme et Sylvie, pour me rassurer : le goût de la lecture, tout de même ( même si, comme eux , je n'aime pas le théâtre, et préfère de loin la musique et le cinéma) ; les longues études... Mais tout de même...

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Olivier Maillard, extrait de la critique du roman de Georges Perec " Les Choses", dans la revue Ateliers du roman n°79, septembre 2014

Par Auteurs
M. de Kerangal
Sylvie Germain
Pirandello
Virginia Woolf
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