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Salman_Rushdie.jpg novembre 2006

Terreur

Mon éducation sur le sujet de la terreur avait commencé bien avant l'émergence de l'islamisme. Dans ma jeunesse à Londres, c'était l'IRA. Vous aviez régulièrement des bombes qui explosaient dans un supermarché ou ailleurs, et j'étais très impressionné par la réaction des Anglais, cette façon de dire : " Ok, ce sont des choses qui arrivent", ce refus de céder à la logique de la terreur. Ç'a été mon apprentissage,... bien avant que ça prenne un tour personnel et que ça n'affecte mon existence directement. Lorsque ça m'est arrivé, c'était la fin de la guerre froide, la libération de Mandela, un grand moment d'espoir pour le reste du monde, et ma vie basculait dans la direction opposée. ce qui a rendu les choses pire encore, pour moi, d'ailleurs. Les gens fêtaient la fin des murs, tandis que des murs s'érigeaient autour de moi. Ce furent des années très difficiles. Mais, si vous êtes écrivain, vous apprenez de toute expérience. Aujourd'hui, je me dis que j'ai vécu en avance quelque chose qui à présent arrive à tout le monde. En ce sens, ç'a été un apprentissage."

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Salman Rushdie : extrait d'entretien pour "Le Magazine Littéraire" septembre 2016

Dans la gare, les poilus semblaient se calmer. La locomotive fut mystérieusement raccrochée et les hommes montèrent dans le train, où il ne restait plus une vitre, à peine une banquette. Quand le train se mit en marche, une bordée de sifflets jaillit. Les hommes penchés aux portières criaient : "Nous reviendrons !"
L'un d'eux saisit au passage la main d'un officier.
A la grande surprise de l'officier, l'homme ne lâcha pas son étreinte.
- Eh bien ? Qu'est-ce que vous faites ? Lâchez-moi, voyons !
Le train roulait. L'officier se mit à courir.
- Lâchez-moi !
- Tu ne veux pas venir avec nous ?
- Vous êtes fou, voyons. Lâchez-moi !
- Viens avec nous, va.
L'homme sourit.
Partout aux portières, on se penchait. Certains rigolaient. D'autres poussaient des cris.
- Tiens bon !
- Lâche-le pas, surtout !
- Lâche-le pas, nom de Dieu !
- Ah, la vache ! I roule sous l'train.
- Saute sur le marchepied, bougre d'andouille !
- Penses-tu ! Faudrait qu'il vienne jusqu'au bout, alors.
Le train prenait de la vitesse. Sur le quai, un employé sifflait à tue-tête. Assourdi par les clameurs, le mécanicien n'entendait rien et le train roulait toujours. L'officier courait maintenant de toutes ses forces, les yeux hors de la tête, fou de terreur.
- Foutu ! Même s'il le lâche, i roule sous l'dur.
- Tue-le !
- Mais non ... Monte-le à bord.
L'homme enfin lâcha sa prise et une immense clameur retentit. Rebondissant contre le train, l'officier fit deux ou trois tours sur lui-même, roula par terre, sur le quai, resta immobile.
Les poilus se penchaient pour mieux voir. L'un d'eux cracha :
- Fumier !

 

Louis Guilloux, " le sang noir ", Gallimard 1935

Par Auteurs
M. de Kerangal
Sylvie Germain
Pirandello
Virginia Woolf
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