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Solitude

Marguerite_Yourcenar-Bailleul-1982.10.04

"Le maître de maison adhère à coup sûr aux principes du bouddhisme, mais son expérience peut-être plus intellectuelle que mystique n'atténue pas le pli amer au coin des lèvres. Il est malade, et il est seul. Comme tout solitaire, il lui arrive de se référer de temps en temps à de grands noms d'amis maintenant éloignés ou disparus d'un monde qui n'est plus le sien. Il ne nie pas non plus son goût du fait politique ; il a peut-être noué ou desserré certains nœuds Il a été l'un des amis préférés de Sihanouk ; on le sent encore en partie dans ce Vietnam ou ce Cambodge qu'il a quitté. Est-il allé aussi plus loin dans d'autres domaines ? A-t-il touché non seulement en ethnologue, mais en expérimentateur, aux rites des magies bienfaisantes ou non que la secte shingon, entre autres, a importées du lointain Tibet ? Vaines hypothèses, mais certaines connaissances de l'esprit marquent u visage aussi bien que certains secrets de la chair. Cet hôte courtois, cet homme que la maladie use sans le désarmer n'est pas entièrement avec nous ; notre départ le rendra à sa riche et peut-être effrayante solitude dont il n'est jamais tout-à fait sorti. Il a l'aitr d'une antenne qui vibre à des bruits venus d'ailleurs."

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Marguerite Yourcenar : "Le tour de la prison",  Gallimard, 1991

 

Je l'ai trouvée devant ma porte
Un soir, que je rentrais chez moi
Partout, elle me fait escorte
Elle est revenue, la voilà
La renifleuse des amours mortes
Elle m'a suivie, pas à pas
La garce, que le Diable l'emporte !
Elle est revenue, elle est là

Avec sa gueule de carême
Avec ses larges yeux cernés
Elle nous fait le coeur à la traîne
Elle nous fait le coeur à pleurer
Elle nous fait des matins blêmes
Et de longues nuits désolées
La garce ! Elle nous ferait même

L'hiver au plein coeur de l'été

Dans ta triste robe de moire
Avec tes cheveux mal peignés
T'as la mine du désespoir
Tu n'es pas belle à regarder
Allez, va t'en porter ailleurs
Ta triste gueule de l'ennui
Je n'ai pas le goût du malheur
Va t'en voir ailleurs si j'y suis !

Je veux encore rouler des hanches
Je veux me saouler de printemps
Je veux m'en payer, des nuits blanches
À coeur qui bat, à coeur battant
Avant que sonne l'heure blême
Et jusqu'à mon souffle dernier
Je veux encore dire "je t'aime"

Et vouloir mourir d'aimer

Elle a dit : "Ouvre-moi ta porte
Je t'avais suivie pas à pas
Je sais que tes amours sont mortes
Je suis revenue, me voilà
Ils t'ont récité leurs poèmes
Tes beaux messieurs, tes beaux enfants
Tes faux Rimbaud, tes faux Verlaine
Eh bien, c'est fini, maintenant."

Depuis, elle me fait des nuits blanches
Elle s'est pendue à mon cou
Elle s'est enroulée à mes hanches
Elle se couche à mes genoux
Partout, elle me fait escorte
Et elle me suit, pas à pas
Elle m'attend devant ma porte

Elle est revenue, elle est là
La solitude, la solitude…

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La Solitude par Barbara

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" Tous mes personnages sont des solitaires auxquels il manque quelque chose. Si la solitude traverse l'ensemble de la littérature, c'est parce qu'elle est présente à l'intérieur de chaque être humain. Imaginez qu'on construise un pont sur lequel passent quotidiennement cinquante mille voitures. Face à cette banalité, il n'y a rien à raconter. Or si le pont s'effondre, l'histoire commence. Moi, j'écris sur les ponts qui s'écroulent. "

Amos Oz : extrait d'entretien, magazine Transfuge n°36, janvier 2010

Je me revois aussi dans le Quartier latin

Crevant de solitude et recherchant quelqu'un

Un regard, une voix, dans le petit matin

Des mots de rien, de peu, même des lieux communs

Je voulais qu'on me parle de la pluie, du beau temps

Et des banalités qu'on se dit au comptoir

Devant un verre de vin pour faire durer l'instant

Ou bien les yeux mouillés sur le bord du trottoir "

 

Frédéric Pajak : poème extrait du " Manifeste incertain T3 " Editions Noir Sur Blanc 2014

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" ... une sensation d'angoisse qu'elle avait déjà éprouvée , ce jour de mars 1984, alors qu'elle était assise dans le bus 69 et se rendait dans une clinique du 19ème arrondissement pour avorter, moins de six mois après la naissance de sa fille qu'elle élevait seule, la pluie ruisselait sur les vitres, elle avait regardé un à un les visages des quelques passagers qui l'entouraient, des visages que l'on croise dans les bus parisiens en milieu de matinée, des visages aux yeux fuyants vers le lointain ou rivés à une consigne de sécurité contenue dans un pictogramme, fixés sur le bouton d'appel, égarés à l'intérieur du pavillon d'une oreille humaine, des yeux qui s'évitaient entre eux, vieilles dames à cabas, jeunes mères de famille avec enfant en kangourou, retraités en chemin vers la bibliothèque municipale pour la lecture de leur périodique quotidien, chômeurs de longue durée en costume cravate douteux, plongés dans leur journal sans parvenir à le lire, sans que jaillisse sur la page la moindre étincelle de sens, mais accrochés au papier comme pour se maintenir dans un monde où ils n'avaient pourtant plus de place, où ils ne trouveraient bientôt plus de quoi subsister, des personnes parfois situées à moins de vingt centimètres d'elle, et qui toutes ignoraient ce qu'elle allait faire, cette décision qu'elle avait prise et qui dans deux heures serait irréversible, des gens qui vivaient leur vie et avec lesquels elle ne partageait rien, rien, hormis ce bus pris dans une giboulée, ces banquettes usagées et ces poignées de plastique poisseuses qui pendaient du plafond comme des cordes préparées pour se pendre, rien, chacun sa vie, chacun la sienne, voilà, elle avait senti que ses yeux se baignaient de larmes, avait serré plus fort la barre métallique pour ne pas tomber, et sans doute fit-elle en cet instant l’expérience de la solitude...

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Maylis de Kerangal : extrait de Réparer les vivants, Éditions Gallimard 2011

" ...une des taches essentielles de la littérature, et ce qui la rend irremplaçable : surmonter cette solitude qui nous est commune à tous et cependant nous rend étranger les uns aux autres "

Simone de Beauvoir : " Tout compte fait "  ( Lire, n° de février 2008

Par Auteurs
M. de Kerangal
Sylvie Germain
Pirandello
Virginia Woolf
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