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Temps

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"Le temps passait, toujours plus rapide ; son rythme silencieux scande la vie, on ne peut s' arrêter même un seul instant, même pas pour jeter un coup d’œil en arrière. " Arrête ! Arrête ! " voudrait-on crier, mais on se rend compte que c'est inutile. Tout s'enfuit, les hommes, les saisons, les nuages ; et il est inutile de s'agripper aux pierres, de se cramponner au sommet d'un quelconque rocher, les doigts fatigués se desserrent, les bras retombent inertes, on est toujours entraîné dans ce fleuve qui semble lent, mais qui ne s'arrête jamais ...

Jusqu’alors, il avait avancé avec l’insouciance de la première jeunesse, sur une route qui, quand on est enfant, semble infinie, où les années s’écoulent lentes et légères, si bien que nul ne s’aperçoit de leur fuite. On chemine placidement, regardant avec curiosité autour de soi, il n’y a vraiment pas besoin de se hâter, derrière vous personne ne vous presse, et personne ne vous attend, vos camarades aussi avancent sans soucis, s’arrêtant souvent pour jouer. Du seuil de leurs maisons, les grandes personnes vous font des signes amicaux et vous montrent l’horizon avec des sourires complices ; de la sorte, le cœur commence à palpiter de désirs héroïques et tendres, on goûte l’espérance des choses merveilleuses qui vous attendent un peu plus loin ; on ne les voit pas encore, non, mais il est sûr, absolument sûr qu’un jour on les atteindra.

Illusion tenace, la vie lui semblait inépuisable, bien que sa jeunesse eût déjà commencé de se faner. Mais Drogo ignorait ce qu'était le temps...

Et pourtant un jour, il s'est aperçu que, depuis assez longtemps, il n'allait pas galoper sur l'esplanade, derrière le fort. Il s'est même aperçu qu'il n'en avait aucune envie et que, ces derniers mois ( Dieu sait quand exactement ?) , il ne montait plus les escaliers quatre à quatre. Bêtises, a-t-il pensé; physiquement, il se sentait toujours le même, il n'y avait aucun doute, le tout était de recommencer; se faire examiner eût été ridicule et superflu."

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Dino Buzzati " Le désert des tartares" Editions Robert Laffont 1949

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" J'ai l'impression que la temporalité qui règne dans la fiction est beaucoup plus inexorable que celle qui s'écoule dans la vie réelle. Dans la vie réelle, les neuf-dixièmes sont distraction et divertissement. La littérature les élague impitoyablement. Je relisais l'autre jour David Copperfield. Il y a un épisode où la petite Emily est séduite, et à partir de ce moment commence une sorte d'écoulement inflexible qui est loin de celui de la vie réelle. On sent là vraiment la temporalité de la fiction beaucoup plus proche du destin que dans la vie. La lecture ne supprime jamais le sentiment de l'écoulement du temps concret. Mais elle réussit à mettre en conserve de la durée qu'on peut libérer et même réitérer puisqu'on relit les livres. C'est une sorte de temps en conserve qui peut se superposer au temps vécu réellement, sans l'annihiler comme le rêve. "

 

Julien Gracq : " Entretiens " José Corti 2002

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" À cet instant, la pendule sur la cheminée fit entendre une sonnerie si tendre et si fine qu'on se serait cru au Théâtre des Arts, pendant le troisième acte d'Un mois à la campagne. Je me levai d'un bond. Quatre heures avaient passé ! État-ce possible ? On avait causé de l'enfer  et du paradis mettons vingt minutes, et de Chicago, tout au plus une heure et demie. Même si l'on comptait une demi-heure pour le grand-père couché, on n'arrivait pas à quatre heures. Qu'avions-nous fait du temps ?

   - Où est passé le temps ? criai-je.

   - Je n'y ai pas touché, je vous le jure. Ne criez pas, on va croire qu'il y a vraiment eu un vol. "

 

Nina Berberova : extrait de : "Le mal noir" Actes Sud, 1989

Par Auteurs
M. de Kerangal
Sylvie Germain
Pirandello
Virginia Woolf
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