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Idéologie

Comment se mobiliser contre une idéologie si vaste qu'elle n'a pas de limites ? ... A quoi s'accrocher lorsque ce qui est puissant est aussi virtuel ?

Naomi Klein. ( "Journal d'une combattante")

 "Le vécu social muet suscite  ou accepte les verbalisations idéologiques et non l'inverse ; une idéologie ne convainc que les convaincus. Nous avons vu cela de nos yeux, si nous sommes quinquagénaires ou davantage : la découverte de la contraception a donné lieu à une comique expérimentation sociologique en conditions réelles. Avant la " pilule " , les jeunes filles respiraient dans l'air du temps et dans l'exemple de leurs compagnes les utiles vertus de pureté, de chasteté, de virginité, d'abstention sexuelle. ... Il a suffi que la pilule apparaisse pour que ces vertus disparaissent comme rosée au soleil : évaporées avec le péril, tant dans les duplex que dans les chaumières. Leur effacement nous a paru si naturel que nous nous en sommes à peine aperçus, sans remarquer à cette occasion que ce n'était pas le vertuisme qui avait inculqué l'abstention, mais l'abstention qui, faute de contraception, s'était érigée en vertu."

Paul Veyne Extrait de ; " Quand notre monde est devenu chrétien " 

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" Nous sommes les héritiers malgré nous des idéologies du XXème siècle. Nous ressemblons à leurs pensionnaires hébétés, croupissants dans le déni de leurs illusions encore tièdes. Nous ne voulons rien accepter de ces croyances périmées, car nous savons assez le fléau qu"elles ont été, toutes sans exception - , nationalistes, communistes, fascistes.

De ce monceau de dogmes évanouis subsiste néanmoins une idéologie moderne. Sans se prévaloir des idéologies passées, elle en porte les traces, certaines manies, des habitudes ou des stratagèmes. Mais cette idéologie moderne se défend d'être une idéologie. Elle s'efforce de paraître débarrassée de tout ce qui constituait une idéologie, et elle sait faire illusion. A force de masques et de dénégations, elle parvient à faire douter de son existence. Nous pourrions l'arracher à son ombre pour la faire passer aux aveux : elle ne se déroberait pas. Même si elle disait haut et fort de quoi elle est faite, de quelles pensées inavouables, de quelle ambition, de quelle soif d'hégémonie, nous ne serions pas plus avancés. Car si cette idéologie ne se montre pas, c'est qu'elle n'en a pas besoin. Contrairement au christianisme, au communisme ou au fascisme, elles se dispense des pompes de la terreur. Elle ne nous force ni à prier ni à nous taire. C'est qu'elle s'est insinuée partout, jusque dans les petites choses. Elle s'exprime par bribes, et dans le murmure. Elle ne paraît jamais d'un bloc, d'un visage. On ne l'identifie pas, ou mal. Elle tergiverse, finasse, se pare de la plus grande confusion possible. C'est dans le brouhaha qu'elle se sent chez elle.

Imperceptiblement, insidieusement, elle s'est mise dans notre langage, dans nos coutumes, dans nos jugements et dans notre façon d'appréhender la réalité, à commencer par l'Histoire. Or, c'est précisément de cette Histoire, de ce mouvement entre passé, présent et avenir que veut nous priver l'idéologie moderne. Elle omet sciemment le passé pour mieux se vautrer dans le présent, un présent qui doit coûte que coûte faire oublier l'avenir. L'avenir : n'oublions pas que les idéologies du XXème siècle se sont acharnées à oublier le présent pour s'oublier dans la promesse d'un avenir, forcément meilleur, forcément radieux.

Aujourd'hui, l'avenir est avant tout une menace, un monde mauvais et périlleux qu'il faut ôter de notre esprit. pour cela, il suffit de provoquer son oubli. Et, dès lors que l'avenir est oublié, on peut oublier le passé.

Mais on ne saurait faire disparaître complètement le passé. Il doit donc apparaître tel que le présent puisse le supporter : un passé éloigné, flou, fait de perruques royales, de victoire navales, de conquêtes triomphales. Il ne doit en rester que des dates magistrales, des batailles héroïques et des splendeurs muséifiées. C'est par ce travestissement du passé et ce rejet de l'avenir que l'idéologie moderne se constitue et agit comme une idéologie. Elle procède avec une violence tout en raffinement, sans jamais avouer sa besogne qui consiste à abolir systématiquement le mouvement de l'Histoire. C'est une technique d'aveuglement, une technique qui a fait ses preuves. C'est désormais en aveugles que nous appréhendons le monde. Nous somme dans une étrange nuit, une nuit qui ne commence pas et ne finit pas, puisqu'elle n'a ni passé ni avenir. Et dans cette nuit, nous sommes comme suspendus dans le présent. Mieux : nous nous y réfugions, comme dans un cocon..."

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Frédéric Pajak : extrait de " Manifeste Incertain 3 " Les Editions Noir Sur Blanc, 2014

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