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Nina Berberova

FAIM

 

Sur le boulevard Raspail, je m'arrête devant la vitrine d'une charcuterie sans pouvoir en détacher les yeux ; elle me paraît plus somptueuse que n'importe quelle autre vitrine de cette ville. J'ai constamment faim. Je porte des robes de seconde main et de vieilles chaussures ; je n'ai ni parfum, ni soies, ni fourrures, mais rien ne me fait plus envie que ces denrées délicieuses. Derrière la vitrine, une jeune vendeuse bien en chair fait tourner le disque d'un coupe-jambon. Ses lèvres ressemblent à de petites tranches de jambon, ses doigts à des saucissons roses et ses yeux à des olives noires. Vue du dehors, elle finit par se confondre avec les jambonneaux et les côtes de porc, ce qui oblige le client, une fois entré, à la chercher des yeux. Alors elle reprend vie et le disque se remet à tourner, un long couteau aiguisé danse dans sa main, une feuille de papier huilé se glisse sous la saucisse, la flèche de la balance oscille et l'on entend enfin résonner le vacarme familier de la caisse enregistreuse. Si cette caisse n'existait pas, comme la vie serait facile ici-bas !

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Nina Berberova : " C'est moi qui souligne" Actes Sud 1989

MELANCOLIE

 

"J'en ai rencontré des hommes de talent, voire même de génie ! C'étaient des gens malheureux, morbides, insupportables, aux vies brisées et entourés de victimes. Ils ne connaissaient pas le bonheur et ne comprenaient pas l'amitié. C'étaient toujours les mêmes plaintes : " On ne nous lit pas" , " on ne nous écoute pas", "on ne nous comprend pas", "il n'y a pas d'argent", il n'y a pas de public". La prison et l'exil les guettaient, la censure les opprimait. Impossible d'imaginer rien de plus mélancolique"

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Nina Berberova : " C'est moi qui souligne" Actes Sud, 1989

Par Auteurs
M. de Kerangal
Sylvie Germain
Pirandello
Virginia Woolf
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