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SILENCE

Alice Zeniter en dédicace lors du salon du livre de Paris 2013.

" Ifren s'assied à la table où Mehdi, Naïma, Rachida et Hassen, un auteur qu'elle publie, sont lancés dans une conversation animée sur les récits de vie omniprésents dans la littérature contemporaine.

  - C'est de la thérapie narcissique, répète Rachida. Ils n'ont qu'à aller voir des psys.

   - Je ne suis pas d'accord, entonne Hassen sur tous les tons mais sans jamais développer son propos.

   - Peut-être que c'est un besoin qu'ils ont, dit Mehdi, mais ce n'est pas forcément un mal.

   - Mais pourquoi ils en ont besoin ? crie presque Rachida. Et surtout pourquoi ils s'imaginent que ça intéresse les autres ?

   - Peut-être qu'ils ont peur du silence, suggère Ifren attrapant la conversation et une bouteille au vol.

   Rachida émet un ricanement méprisant.

   - Je crois que je peux comprendre ça, commence Naïma avec hésitation ( la présence d'Ifren l'a soudain rendue timide ). Personne ne sait ce que les autres vont faire de notre silence. La vie de mon grand-père, par exemple, si on pouvait la regarder écrite, bien étalée sur des pages, et peut-être que c'est possible, ma grand-mère me dirait que, oui, sûrement, dans la prunelle de Dieu, si on pouvait la regarder au travers de ses paroles et bien on distinguerait deux silences, qui correspondent aux deux guerres qu'il a traversées. La première, celle de 39-45, il en est ressorti en héros et alors son silence n'a fait que souligner sa bravoure et l'ampleur de ce qu'il avait eu à supporter. On pouvait parler de son silence avec respect, comme d'une pudeur de guerrier. Mais la seconde, celle d'Algérie, il en est ressorti traître et du coup son silence n'a fait que souligner sa bassesse et on a eu l'impression que la honte l'avait privé de mots. Quand quelqu'un se tait, les autres inventent toujours et presque chaque fois ils se trompent, alors je ne sais pas, peut-être que les écrivains dont vous parlez se sont dit qu'il valait mieux tout expliquer tout le temps à tout le monde plutôt que de les laisser projeter sur le silence..."

 

Alice Zeniter :  " L'art de perdre " Éditions Flammarion/Albin Michel, 2017.

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"La musique exprimerait les choses mieux et plus simplement, mais je préfère utiliser les mots, comme je préfère lire plutôt qu'écouter. Je préfère le silence au son, et l'image produite par les mots surgit dans le silence. Je veux dire, le tonnerre et la musique de la prose se produisent en silence."

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Faulkner : extrait d'entretien pour Paris Review, 1956

Paris Review anthologie, volume 2, Christian Bourgois, 2011

Un livre, pour moi, ne commence ni avec une idée ni avec un personnage. Mais avec la conscience qu'un silence demande à être rempli.... L'engagement pour un écrivain, c'est sans doute être attentif à ces silences... Ces silences qui existent dans l'imagination des hommes, dans ce qui a déja été écrit, ces silences qui font appel."

John Berger : entretien dans Télérama n°3082 du 4 février

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" Je me lève tous les matins à cinq heures pour entamer ma journée par une promenade. En me baladant dans le désert, j'ai l'impression d'être un fragment du monde. Ce lieu apaisant m'apporte le silence, ainsi qu'une certaine distance et une mise en perspective. Ces trois éléments sont fondamentaux pour l'écriture. De retour à la maison, j'allume la radio. Un flot de nouvelles m'assaille. Je sens dès lors que les pierres du désert se moquent de moi et du monde dans lequel nous vivons. Le silence constitue l'inspiration qui me porte. "

Amos Oz : extrait d'entretien, magazine Transfuge n°36, janvier 2010

"Devant les autres, il ne se taisait que pour sentir le silence le protéger à la façon d'une carapace, comme d'autres ne parlaient que pour sentir sur leur langue l'impatience de leurs propos. Étranger à la beauté des phrases, la discrétion était sa demeure. Et dans cette torpeur, il ignorait les inconvénients de son silence comme le sage ceux de sa sagesse."

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Miguel Bonnefoy, extrait de " Le voyage d'Octavio" Payot et Rivages, 2015.

L'écrivain habite le silence. On reconnaît l'exacte nécessité des mots qu'il emploie à la gangue de silence dont ils sont enveloppés. paradoxalement, écrire, c'est d'abord se taire, c'est se recueillir, c'est plonger dans le silence et se familiariser avec sa pénombre où, telles des algues et des fougères sous-marines, évoluent des formes imprécises. On est bien loin, dans ces régions de ténèbres et de pulsations abyssales, des évidences de la réalité, de la dure consistance des apparences. Mensonge et réalité, songe et vérité se mêlent et se confondent. Tout l'effort consiste, en bougeant le moins possible, en devenant pure attention, à ne rien déranger de l'étrange alchimie qui défait et refait les formes..."

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Michel Del Castillo : extrait de "La gloire de Dina" Éditions du Seuil, 1984

Devant lui, des milliers de dos. Derrière lui, des milliers de visages. Il a oublié, ils ont tous oublié qu'il existe dans ce pays des milliers de personnes, et à l'intérieur de chacune de ces personnes vivent des cris, un tumulte qui se multiplie et donne son rythme à la marche. Mais il y a aussi un monde de silences, et nul n'entend le silence de l'autre. C'est pourtant ça l'idée qui le fait marcher. À chaque dos, à chaque visage, il a envie de dire je veux entrer dans ton silence. Le bruit est la chose la mieux partagée, mais le silence, là où ça se noue à l'intérieur de toi, là où tu saignes du dedans comme un arbre qui ne donne pas à voir le travail du temps, le vide intérieur qui le fait soudain s'écrouler alors que tous le croyaient debout pour l'éternité ! Je veux entrer dans ton silence. À dix heures la foule a tourné dans la grande avenue où le premier barrage de police attendait. Et l'étudiant a pensé que l'on pouvait crier ensemble, mais qu'à la fin des fins  chaque homme meurt avec son silence."

 

Lyonel Trouillot, extrait de " Bicentenaire", Actes Sud, 2004

http://fr.wikipedia.org/wiki/Lyonel_Trouillot

Photo credit: ambafranceht on VisualHunt.com / CC BY-NC-SA

"Devant les autres, il ne se taisait que pour sentir le silence le protéger à la façon d'une carapace, comme d'autres ne parlaient que pour sentir sur leur langue l'impatience de leurs propos. Étranger à la beauté des phrases, la discrétion était sa demeure. Et dans cette torpeur, il ignorait les inconvénients de son silence comme le sage ceux de sa sagesse."

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Miguel Bonnefoy, extrait de " Le voyage d'Octavio" Payot et Rivages, 2015.

"Je me demande s'il y a encore place en ce monde pour un silence."

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Jean Cocteau; ( Hors Série Télérama, Novembre 2013)

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Par Auteurs
M. de Kerangal
Sylvie Germain
Pirandello
Virginia Woolf
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