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Histoire

" L'Histoire dira que vous avez eu tort dans cette affaire... Et si j'en suis  certain, c'est parce-que c'est moi qui l'écrirai ! "

 Winston Churchill, en 1936, au Premier ministre Baldwin.


Recueilli dans le n°382 de Lire de Fevrier 2010

" Je fais une différence entre situations et histoire. L'histoire que vous trouvez dans les journaux ou les manuels scolaires n'est à mon sens qu'une suite de situations chronologiquement ordonnées. Elles sont simplifiées. Cette histoire-là, qu'on nous transmet, s'écrit à coups de dents, en tronçonnant des morceaux de réalité. À mon sens, le travail du romancier consiste à contester cela. Pour moi, la fiction est le meilleur outil pour interroger l'histoire qu'on nous enseigne. Parce qu'elle met l'humain au centre. La littérature permet de faire de l'histoire au plus près des gens qui l'ont vécue"

 

Yiyun Li : extraits d'entretien pour le magazine Books, Décembre 2015

Aujourd'hui, l'avenir est avant tout une menace, un monde mauvais et périlleux qu'il faut ôter de notre esprit. pour cela, il suffit de provoquer son oubli. Et, dès lors que l'avenir est oublié, on peut oublier le passé.

Mais on ne saurait faire disparaître complètement le passé. Il doit donc apparaître tel que le présent puisse le supporter : un passé éloigné, flou, fait de perruques royales, de victoire navales, de conquêtes triomphales. Il ne doit en rester que des dates magistrales, des batailles héroïques et des splendeurs muséifiées. C'est par ce travestissement du passé et ce rejet de l'avenir que l'idéologie moderne se constitue et agit comme une idéologie. Elle procède avec une violence tout en raffinement, sans jamais avouer sa besogne qui consiste à abolir systématiquement le mouvement de l'Histoire. C'est une technique d'aveuglement, une technique qui a fait ses preuves. C'est désormais en aveugles que nous appréhendons le monde. Nous somme dans une étrange nuit, une nuit qui ne commence pas et ne finit pas, puisqu'elle n'a ni passé ni avenir. Et dans cette nuit, nous sommes comme suspendus dans le présent. Mieux : nous nous y réfugions, comme dans un cocon...

Walter Benjamin l'a remarqué : " Rien de ce qui eut jamais lieu n'est perdu pour l'Histoire." Mais l'Histoire ne consiste pas en une succession d'évènements. Il ne s'agit pas de savoir comment les choses se sont réellement passées. Il s'agit de réveiller les morts, tous les morts, sans exception. Il faut entendre la voix de ces misérables, des anonymes, des exclus de l'Histoire officielle. Seules ces voix retrouvées donneront une réalité au présent. Elles en sont le garant invisible et muet

C'est parce qu'on peut douter de la fable du passé que le passé véritable peut se rouvrir. Nietzsche, dans Le Gai Savoir, l'a noté ; il faut remettre toute l'Histoire en question, car le passé est sans doute essentiellement inexploré. Pour cela, il faut faire appel à ses propres forces rétroactives, afin que les secrets du passé sortent de leurs cachettes.
Nietzsche se réjouit de cette vertu nouvelle qu'on appelle " le sens historique". Mais ce sentiment est "encore une chose si pauvre et si froide qu'il parcourt bien des gens comme un frisson glacé, et qu'il les rend encore plus pauvres et plus froids."

C'est un sentiment vaste, encore embrouillé, qui ne sait quoi faire de ce continent enfoui dans la mémoire collective, et qui a des airs de malade incurable plein de regret pour sa santé ou de vieillard agonisant nostalgique de sa jeunesse. C'est que l'effort qu'exige de nous un tel sentiment est énorme. Il s'agit ni plus ni moins de sentir comme sa propre histoire toute l'Histoire de l'humanité. Aussi Nietzsche écrit-il : "Prendre tout cela sur son âme, le passé le plus vieux, le présent le plus neuf, les pertes, les espoirs, les conquêtes, les victoires de l'humanité, réunir tout cela en une seule âme, en un seul sentiment, voilà qui devrait produire enfin un bonheur tel que l'homme n'en a jamais connu..."

Rien du pressentiment de Nietzsche ne s'est accompli. Un siècle de divers avenirs radieux s'est consumé dans l'horreur et la pitié ; et nous voilà : vieux et jeunes enfants d'un temps suspendu, qui n'avons plus guère la force de rêver, n'en ressentons qu'à peine la nécessité, parce que l'idéologie moderne ne provoque aucun rêve.

Ce qu'on a appelé le capitalisme, qu'on nomme volontiers libéralisme, et qu'on voudrait définir comme une réalité où les rapports de force seraient dictés par la concurrence et le profit, cette société mondiale qui irait sans boussole secrète ce qu'il lui manque, ce qui se niche dans son absence, c'est-à-dire un monde vivant dans le monde achevé. Et ce monde n'est rien de moins que la conscience du temps, et son expérience. Plus que par la philosophie, c'est peut-être par la poésie que commence l'Histoire."

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Frédéric Pajak : extrait de " Manifeste Incertain 3 " Les Editions Noir Sur Blanc, 2014

Par Auteurs
M. de Kerangal
Sylvie Germain
Pirandello
Virginia Woolf
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