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Savoir

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" Quelque part- dans la préface de Sainte-Jeanne, je crois - Bernard Shaw remarque que nous sommes plus crédules et superstitieux que nous l'étions au Moyen-Age et, comme exemple de crédulité moderne, il cite la croyance répandue selon laquelle la Terre est ronde. L'homme de la rue, dit Shaw, est incapable d'avancer une seule raison qui explique que la Terre est ronde. Il accepte cette théorie simplement parce qu-il s'y trouve quelque chose qui séduit la mentalité du XXème siècle.

   Je trouve que Shaw exagère, mais ce qu'il dit n'est pas dénué de fondement, et le sujet est intéressant à poursuivre car il éclaire le savoir moderne. Pourquoi donc croyons-nous que la Terre est ronde ? Je ne parle pas des quelques milliers d'astronomes, de géographes et des autres personnes du même acabit qui pourraient vous en donner une preuve oculaire ou qui ont une connaissance théorique de cette preuve, mais du citoyen ordinaire, lecteur de journaux, tel que vous ou moi...

   Notre savoir ne se fonde ni sur le raisonnement ni sur l'expérience mais sur l'autorité. Et comment pourrait-il en être autrement quand l'étendue du savoir est si grande que l'expert lui-même  devient ignare lorsqu'il s'éloigne de sa spécialité ? La plupart des gens à qui l'on demanderait de démontrer que la Terre est ronde (...) commenceraient par dire  que tout le monde sait que la Terre est ronde et, si on les pressait davantage, ils se mettraient en colère. D'une certaine façon, Shaw a raison. Nous vivons dans une époque crédule, et le poids du savoir que nous devons porter aujourd'hui en est en partie responsable. "

 

George Orwell : extrait de " à ma guise, chroniques 1943- 1947 "

 Le savoir nous rassure-t-il ou nous rend-il plus inquiet ?

 Dans le savoir y-a-t-il de l'espoir ou du désespoir ?

 Est-il un chemin de salut ou de perdition ?

 Mais d'abord, sommes-nous devant une certitude ou un doute ? une vérité ou une supposition ? Et que le savoir soit ceci ou cela mène-t-il au salut ?

 Puis... quel salut ?

 Notre doute augmente avec notre savoir. Tout savoir est un doute.

 Qui sait plus s'inquiète plus, désespère plus et se perd plus

 Chaque nouveau savoir est un nouveau doute et un nouveau désespoir. Comme si  l'optimisme et l'ignorance ne faisaient qu'un. Comme si l'ignorance était le salut !

 Le savoir n'est pas la lumière qui éclaire le tunnel. Tout juste un rayon qui, à peine  dissipe-t-il une obscurité, fait apparaître d'autres obscurités, d'autres inconnus.  Ceux qui entrent dans le tunnel de leur savoir n'ont devant eux que l'obscurité et la  mort dans l'obscurité.

 L'ignorant n'entre pas dans les tunnels et n'a pas besoin d'une lumière. Son  ignorance le sauve, et il meurt à l'entrée du tunnel, dans la lumière.

 L'ignorance est-elle lumière et le savoir obscurité ? Est-ce à cause du savoir que  les suicidés se suppriment, que les meurtriers tuent et que ceux qui n'osent pas se  suicider ou tuer meurent dans le coin silencieux de leur solitude ?

 Leur solitude où ils ont réservé un coin pour la parole et un autre pour l'adieu à la  parole ?

  

 Chaque savoir est ignorance. Chaque ignorance est certitude.

 Chaque savoir est inquiétude. Chaque ignorance est tranquillité.

 

 Ce qui annule leurs différences, ce qui les unit, c'est la mort.

 

 Mais celui qui sait meurt dans l'inquiétude de son savoir.

 

 Alors que l'ignorant meurt dans la tranquillité de l'ignorance.

  

 Wadih Saadeh : extrait de " Le texte de l'absence et autres poèmes "

 Actes Sud 2010

Par Auteurs
M. de Kerangal
Sylvie Germain
Pirandello
Virginia Woolf
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