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Mort

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"Ce sont là des choses qui, on ne sait d'ailleurs pourquoi, ne s'avouent pas ; on laisse aux autres la possibilité d'en avoir l'intuition et personne autour de lui ne l'avait jamais eue, aucune de ses filles qui rêvaient d'un outre-tombe identique à cette vie, un ensemble complet de magistrature, cuisiniers, couvents et horlogers, de tout ; ni Stella qui, dévorée par la gangrène du diabète, s'était malgré tout accrochée mesquinement à cette existence de douleurs. Seul Tancredi peut-être avait compris un instant quand il avait dit avec son ironie rebelle : " Toi, mon oncle, tu courtises la mort. " Maintenant cette cour était finie : la belle avait dit oui, la fuite était décidée, le compartiment dans le train réservé.."

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" Le guépard " de Giuseppe Tomasi Di Lampedusa, 1958

" L'incroyable cécité de la conscience humaine me bouleversera toujours. Ils parlent de déjeuner et de sieste et ne voient pas que le canapé où ils s'allongent est leur cercueil.

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Se préparer. Pour qu'elle ne nous atteigne pas comme un accident, comme un malfrat qui nous assommerait au coin de la rue. Beethoven : " Malheur à celui qui ne sait pas mourir "

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Imre Kertesz : extraits de son "Journal de galère" Actes Sud, octobre 2010

Tu te reposeras pour toujours,

Mon cœur las. Est morte l'ultime illusion,

Qui me faisait croire immortel. Morte. Je sais bien,

Dans mes rêves les plus chers,

Que non seulement l'espoir mais aussi le désir s'est éteint.

Repose pour toujours. Tu as assez

Battu. Rien ne mérite

Tes fièvres, et d'aucun soupir n'est digne

La terre. Amertume et ennui,

La vie, jamais rien d'autre ; et fange est le monde. Apaise-toi, maintenant. Désespère

Une dernière fois. A notre espèce le destin

N'a donné que de mourir. Méprise désormais

Et toi-même, et la nature et la brutale

Puissance qui, cachée, régit le malheur universel,

Et l'infinie vanité de tout.

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Giacomo Leopardi : " A soi-même", Chants 1833

" Il n'est point mort, il n'est point endormi ! Il s'est éveillé du songe de la vie..."

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épitaphe de Shelley sur la tombe de Keats, à Rome.

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(Lu dans le roman la recherche de la couleur, de Jean-Marc Parisis)

" À présent, assis sur ce banc dans une ville familière et inconnue, une ville de rendez-vous et d'hôtels dans laquelle il s'était rendu cinquante fois et qu'il connaissait à peine, il repensait à cette scène et aussi à une phrase de Tolstoï qui avait marqué sa jeunesse en résumant de manière lapidaire la vie tranquillement banale du magistrat Ivan Ilitch, s'éteignant après un long cris de trois jours et trois nuits à l'âge de quarante-cinq ans : " L'histoire révolue d'Ivan Ilitch était à la fois très simple, très ordinaire, et parfaitement atroce." Et si cette phrase l'avait marqué si profondément, c'est parce qu'il en avait compris , selon lui, la véritable signification : " L'histoire révolue d'Ivan Ilitch était à la fois très simple , très ordinaire et à ce titre parfaitement atroce. C'est parce que Ivan Ilitch Golovine, condamné par sa maladie, avait compris l'absurdité de sa vie si respectable à tous égards qu'il avait soudain hurlé et que ce hurlement avait duré trois jours et trois nuits, le noyant dans la nuit noire de son tourment. Et la mort d'Ivan Ilitch était toujours restée la vraie question pour Lev. Mourrait- il lui-même en hurlant pendant trois jours et trois nuits, l'illusion de la vie lui éclatant d'un coup au visage ? Ou mourrait- il en se souvenant d'un rire dans une fête foraine ? Lev savait que la réponse à ces questions, inéluctable, était plus importante que la perte de son entreprise et de sa fortune. Hurler trois jours et trois nuits ou se souvenir d'un rire."

 

Fabrice Humbert : extrait de "La fortune de Sila", Le Passage Paris - New-York Éditions, 2010

Dans la trouée des saules et des eucalyptus, on distinguait déjà la blancheur du désert et les montagnes mauves du Zagros, d'une découpure très provençale. Et dans la nature, exactement cette même intimité molle et dangereuse qu'on trouve parfois, les nuits d d'été, aux abords d'Arles ou d'Avignon. Mais une Provence sans vin, ni vantardises ni voix de femmes ; en somme sans ces obstacles ou ce fracas qui d'ordinaire nous isole de la mort. Je ne m'étais pas plutôt dit cela que j'ai commencé à la sentir partout, la mort : les regards qu'on croisait, l'odeur sombre d'un troupeau de buffles, les chambres éclairées béant sur la rivière, les hautes colonnes de moustiques. Elle gagnait sur moi à toute allure. Ce voyage , un gâchis...un échec. On voyage, on est libre, on va vers l'Inde...et après ? J'avais beau me répéter : Ispahan ; pas d'Ispahan qui tienne. Cette ville impalpable, ce fleuve qui n'aboutit nulle part étaient d'ailleurs peu propres à vous asseoir dans le sentiment du réel. Tout n'était plus qu'effondrement, refus, absence. À un tournant de la berge, le malaise est devenu si fort qu'il a fallu faire demi-tour. Thierry non plus n'en menait pas large - pris à partie lui aussi. Je ne lui avais pourtant rien dit. Nous sommes rentrés au pas de course.

 Curieux comme tout d'un coup le monde s'abîme et se défile. Peut-être le manque de sommeil ? ou l'effet des vaccins que nous avions fait la veille ? Ou les Djinns qui - dit-on -  vous attaquent, le soir, lorsqu'on longe un cours d'eau sans prononcer le nom d'Allah ? Moi, je crois plutôt ceci : des paysages qui vous en veulent et qu'il faut quitter immédiatement sous peine de conséquences incalculables, il n'en existe pas beaucoup, mais il en existe. Il y en a bien sur cette terre cinq ou six pour chacun de nous.

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Nicolas Bouvier : extrait de "L'usage du monde" à compte d'auteur, Librairie Droz, Genève,1963. Julliard, Paris, 1964...

" Dans l'étang,

il a jeté sa femme. 

L'époux a fait couler doucement sur l'eau les cendres de celle qu'il aimait,

il a versé son regard,

il a répandu son souffle,

il est monté sur le canot arrimé par une chaîne à la rive,

en élevant sa main il a éparpillé sa vie encore tiède, son corps encore presque intact sur la surface grise au-dessus de l'eau sombre

près de la rame noire.

Les cendres dispersées dans le souffle du soir peu à peu se sont humectées,

lentement, lentement, au contact de l'eau,

puis englouties.

Elles se sont progressivement effacées à l'intérieur de l'eau où les petites ablettes et les petits goujons ont ouvert leurs lèvres.

Ils ont des lèvres curieusement bourrelées et blanches, les poissons.

C'est ainsi qu'une jeune femme aux cheveux bruns, si belle, a disparu sous la surface calme et grise.

Elle venait d'accoucher d'une petite fille

qui est restée seule dans la chambre,

dans son berceau..."

 

Pascal Quignard : extrait de " Dans ce jardin qu'on aimait", Grasset, 2017

"Tant d'hommes sur le front meurent en ce moment,

Que c'est un plaisir de saigner seulement."

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Guillaume Apollinaire, correspondance

Par Auteurs
M. de Kerangal
Sylvie Germain
Pirandello
Virginia Woolf
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