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Mélancolie

Mathias Énard

Mathias Énard : Photo credit: Das blaue Sofa via VisualHunt.com / CC BY-ND

" La danseuse s'est relevée pour quitter la scène, entièrement nue, alors qu'une autre fille, sortie d'on ne sait où, prenait sa place sur la barre métallique. La première strip-teaseuse s'est mise à déambuler autour de nous. Sa peau maquillée, son sexe rasé, ses longs cheveux blonds lui donnaient un air inquiétant, un air de succube ou d'ange. Volodia lui a mis une main au cul, sonore, avec un air royal. La deuxième fille a achevé son numéro, je ne l'avais même pas regardée. Elle était brune, elle nous a tourné autour, seins plus gros, jambes d'athlète ; puis une troisième est arrivée, puis une quatrième, puis une cinquième, elles sortaient d'une loge minuscule à côté du bar, je me suis demandé combien il pouvait y en avoir, dix, vingt, trente, ou peut-être étaient-ce les mêmes qui se changeaient, je n'en sais rien. J'ai eu soudain une sensation d'une tristesse infinie, je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que j'étais incapable de ressentir du désir pour elles, que j'aurais voulu être Volodia, un prince égrillard, capable de fesser gentiment les femmes nues, sans honte, sans regrets, de leur proposer de s'asseoir sur ses genoux, de les faire couiner en leur pinçant les seins alors qu'à moi elles m'inspiraient juste une immense mélancolie..."

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Mathias Énard : extrait de " L'alcool et la nostalgie" Éditions Inculte, 2011

Écrire, c'est porter sur le papier nos pensées, leur conférer cette précision, cette cohérence auxquelles l'écriture, seule, permet de parvenir. Chacun, désormais, peut s'adonner, pour son compte propre, à la magie inventée, voilà cinq mille ans, du côté de Sumer et d'Akkad, voir, de ses yeux, les choses immatérielles dont il est obscurément le siège et la source. Mais pareil spectacle a un prix. C'est la sécession, l'absence au monde, la mélancolie. L'existence ne souffre peut-être pas la clarté que la conscience peut y jeter.

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Pierre Bergounioux : Exister par deux fois, Fayard 2014

"J'en ai rencontré des hommes de talent, voire même de génie ! C'étaient des gens malheureux, morbides, insupportables, aux vies brisées et entourés de victimes. Ils ne connaissaient pas le bonheur et ne comprenaient pas l'amitié. C'étaient toujours les mêmes plaintes : " On ne nous lit pas" , " on ne nous écoute pas", "on ne nous comprend pas", "il n'y a pas d'argent", il n'y a pas de public". La prison et l'exil les guettaient, la censure les opprimait. Impossible d'imaginer rien de plus mélancolique"

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Nina Berberova : " C'est moi qui souligne" Actes Sud, 1989

L'un des aspects déprimants de la dépression, c'est de savoir qu'il y a des tas de gens dans le monde qui ont de bien meilleurs raisons que soi de se sentir abattus, et de constater qu'au lieu de vous arracher à la morosité, cela vous amène simplement à vous mépriser encore davantage et donc à être encore plus déprimé. La forme la plus pure de dépression, c'est quand vous n'avez absolument aucune raison à invoquer pour la justifier. Comme dit B, dans Ou bien... Ou bien : "Celui qui a de la peine ou des soucis en sait la cause. SI on demande à un mélancolique la raison de sa mélancolie, ce qui l'oppresse, il répondra qu'il ne le sait pas, qu'il ne peut pas l'expliquer. C'est en cela que consiste l'infini de la mélancolie.

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David Lodge : extrait de " Thérapie" 1995

" La mélancolie est grise. Entre la tristesse et le souvenir d'un bonheur "

François Ozon : entretien dans Transfuges  n° 27 février 2009

" la mélancolie diminue à mesure que je l'écris. ... Je n'arrive pas à en dire le fond. C'est le fait de n'avoir pas d'enfants, de vivre loin des amis, d'échouer à bien écrire, de vieillir..." ( 25 octobre 1920);

Virginia Woolf, extrait de son journal intime

Par Auteurs
M. de Kerangal
Sylvie Germain
Pirandello
Virginia Woolf
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