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Nuit

La nuit
S'achève
Et Gui
Poursuit
Son rêve
Où tout
Est Lou
On est en guerre
Mais Gui
N'y pense guère
La nuit
S'étoile et la paille se dore
Il songe à Celle qu'il adore

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Guillaume Appollinaire : "Poèmes à Lou"

La nuit était noire à cause des nuages qui obstruaient le ciel et masquaient la clarté des étoiles. Elle était sombre à cause des ténèbres de la terre.  Les hitlériens symbolisaient l'immense mensonge de la vie. Et partout où leur pied se posait, du fond de l'obscurité remontaient à la surface la couardise, la trahison, la soif de lâches assassinats, de répressions sanglantes contre les faibles. Ils appelaient à eux toutes les noirceurs, comme dans une vieille légende un mot maléfique évoque les esprits du mal.

  Cette nuit là, la petite ville suffoquait de tout ce qu'il y avait d'obscur et de malfaisant, d'infect et de sordide, et qui éveillé, galvanisé, mis en émoi par l'arrivée des hitlériens, se portait à leur rencontre. Des caves et du fond des ravins, on vit sortir les traîtres, les pusillanimes...Des paroles flatteuses d'apostasie mûrissaient dans l'esprit des gens faibles ; des projets de vengeance naissaient pour une querelle de commère au marché, pour un mot échappé incidemment. Les coeurs se pénétraient de cruauté, d'égoisme et d'indifférence. Les lâches, craignant pour eux-mêmes, méditaient de dénoncer leur voisin pour sauver leur propre peau. Il en fut ainsi dans toutes les villes, grandes ou petites, dans tous les pays, partout où les hitlériens posaient le pied. Un dépôt trouble remontait du fond des rivières et des lacs ; les crapauds émergaient de l'eau ; les chardons envahissaient les champs de blé...

 

Vassili Grossman : " Années de guerre " 1946, Editions Autrement, Paris 1993

La nuit était là. Nous en avions pour douze heures. Une nuit cadenassée. Fermée à double tour. Voilà une supériorité de l'Europe. En France, nous avons mille nuits et, dans chaque nuit, des centaines de nuits. Nous avons le choix. Un nuit de Paris et une nuit de Limoges, vous n'allez pas me raconter que c'est la même nuit ! Au Brésil, ils n'ont qu'une seule nuit, un noir dur et luisant, comme une carapace d'insecte, un noir indélébile. Mais les nuits du Brésil ont aussi des avantages. Elles sont plus infinies que les nôtres car elles n'ont pas autant d'étoiles, et j'ai toujours aimé les nuits quand elles sont grandes. D'ailleurs, le jour aussi, j'aime les grands ciels. Je rigole en pensant à ces ciels étriqués qu'on trouve dans certains départements français. Parlez-moi des ciels du Brésil, please ! Ils sont interminables, ceux-là, ils vont jusqu'au bord du monde. C'est ce que je pensais ce soir là. Aujourd'hui, je ne dirais plus la même chose. Les nuits du Brésil sont aussi dépareillées que celles de l'Europe, ou même que celles des Alpes. Il en est de toutes tailles. C'est comme pour les mots. C'est comme pour les femmes. Il faut les connaître. Il faut beaucoup de nuits pour voir la nuit.

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Gilles Lapouge : " Nuits tranquilles à Belèm" Flammarion, 2015

Par Auteurs
M. de Kerangal
Sylvie Germain
Pirandello
Virginia Woolf
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