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Mort/2

Tout est tellement simple lorsqu'on  est jeune. Un corps vif, un esprit clair, une honnêteté inaltérable, le courage et l'amour de la liberté, de la vérité et de la grandeur. (rires). Mais voilà que surgit la vie quotidienne. Elle vous enveloppe toujours plus étroitement de sa misère. Les années passent, et que voyez-vous alors ? Des millions de gens dont la tête est vidée par l'intérieur. Eh bien, cependant, que nous ayons su vivre ou non, il y a quand même une petite compensation : L'expérience commune, la Mort. Alors, on se retrouve à son point de départ : pur. (Silence.) " A peine au monde, nous pleurons, car nous sommes entrés sur cette grande scène de folie". C'est terrible, ne trouvez-vous pas

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Tchekhov : . " Ce fou de Platonov" 1879/80

Anton Pavlovich Chekhov à l'âge de 29 ans 1889  source	La grande encyclopédie soviétique

" Quand j'apprends la mort d'un écrivain ou d'un poète que j'aimais, je prends un de ses livres et j'en lis un passage, debout devant ma fenêtre. Parfois, c'est insoutenable, tellement cela crée une immense proximité. Un peu comme quand on écoute l'enregistrement d'une personne décédée, les mots entrent dans le corps, leur souffle vous pénètre. Mon père est mort il y a bientôt trente ans. Avec le temps, le deuil vous érode. Il n'y a pas que les rides à l'extérieur, il y a des petits tremblements du temps à l'intérieur de soi. Plus on perd de gens en chemin, plus le phénomène se répète. A chaque fois que je retrouve par hasard un petit mot de mon père glissé dans un livre ou dans une boîte, le temps est mis en suspens, j'éprouve un trouble inouï. Quelque chose de l'ordre du souffle de l'autre subsiste dans son écriture, même à travers de simples mots."

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Sylvie Germain : extraits d'un entretien pour Télérama 3622 du 12/06/2019

Marguerite_Yourcenar-Bailleul-1982.10.04

" Je pense tout le temps à la mort. Il y a des moments où je suis tentée de croire qu'il y a au moins une partie de la personnalité qui survit, et d'autres moments où je ne pense pas ça du tout. Je suis tentée de voir les choses comme Honda, dans le dernier livre de Mishima, celui qu'il a terminé le jour de sa mort. Honda, le personnage principal réalise qu'il a eu la chance d'avoir aimé quatre personnes, mais que c'était la même personne sous des formes différentes, dans, si vous voulez, des réincarnations successives. La cinquième fois il a commis une erreur, qui lui a coûté cher. Il se rend compte que l'essence de ces personnes se trouve quelque part dans l'univers et qu'un jour, peut-être dans dix mille ans ou plus, il les retrouvera sous des formes différentes, sans même les reconnaître. Bien sûr, la réincarnation n'est ici qu'un mot, un des nombreux mots possibles pour souligner une certaine continuité. Il est certain que toutes les preuves physiques indiquent notre annihilation totale, mais si l'on considère aussi toutes les données métaphysiques, on est tenté de dire que ce n'est pas si simple que ça."

 

Marguerite Yourcenar : extrait d'entretien pour Paris Review. Paris Review anthologie, volume 2, Christian Bourgois, 2011

 

" Vous pouvez prier en latin sur mon cercueil, si vous voulez.

Si vous voulez  vous pouvez danser et chanter autour de lui.

Je n'ai pas de préférences pour l'heure où je ne pourrai plus avoir de préférences.

Ce qui arrivera, quand ça arrivera, c'est ce qui sera. "

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Fernando Pessoa, 7 novembre 1915

"Poèmes jamais assemblés d'Alberto Caiero"

Éditions Unes, 2019

Une sorte de prénévrose de ce que je serai quand je ne serai plus, me glace le corps et l'âme, comme un souvenir de ma mort future qui me hérisse au dedans de moi. Dans un brouillard d'intuition, je me sens matière morte, couché sous la pluie, pleuré par le vent. Et le froid de ce que je ne sentirai pas étreint mon cœur d'à présent.

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Fernando Pessoa : Le livre de l'intranquillité

 Je considère la vie comme une auberge où je dois séjourner, jusqu'à l'arrivée de la diligence de l'abîme. Je ne sais où elle me conduira, car je ne sais rien. Je pourrais considérer cette auberge comme une prison, du fait que je suis contraint d'attendre entre ses murs ; je pourrais la considérer comme un lieu de bonne compagnie, car j'y rencontre des gens divers. Je ne suis cependant ni impatient, ni de goûts vulgaire. Je laisse à ce qu'ils sont ceux qui s'enferment dans leur chambre, amorphes, étendus sur un lit où ils attendent sans pouvoir dormir ; je laisse à ce qu'ils font ceux qui bavardent dans les salons, d'où les voix et les musiques me parviennent et me frappent agréablement. Je m'assieds à la porte et j'enivre mes yeux et mes oreilles  des couleurs et des sons du paysage, et je chante à mi-voix, pour moi seul, de vagues chants que je compose tout en attendant.

   La nuit descendra et la diligence viendra pour nous tous. Je goûte la brise que l'on me donne, et l'âme qu'on m'a donné pour la goûter, et je n'interroge ni ne cherche davantage. Si ce que je laisse écrit sur le livre des voyageurs peut, relu quelque jour par d'autres que moi, les distraire eux-aussi durant leur séjour, ce sera bien. S'ils ne le lisent pas, ou n'y trouve aucun plaisir, ce sera bien également.

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Fernando Pessoa : Le livre de l'intranquillité

Par Auteurs
M. de Kerangal
Sylvie Germain
Pirandello
Virginia Woolf
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