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Non, vraiment, je n'aime pas la langue française. Les cousines, les filles mauvaises de l'oncle jaune, disaient devant nous, devant moi petit, 5-6 ans, des mots dans cette langue étrangère, pas à moi, jamais à moi, pour marquer ce qui nous séparait.. Elles étaient belles, des héroînes de films égyptiens. Elles fumaient. Elles faisaient l'amour libre. Elles étaient cruelles. Avaient des yeux petits, très petits. Qui me faisaient peur. Peur. Aujourd'hui encore j'ai peur de ces yeux, de leur lumière, des phrases françaises qu'ils soulignaient. Des phrases assassines. Des insultes. Du racisme. Riches. Pauvres.

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Abdellah Taîa : " autoportrait " Transfuges n° 21 ( mai-juin 2008 )

Peur

De la peur de tous  naît sous la tyrannie la lâcheté de presque tous.

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Vittorio Alfieri ( " De la tyrannie" XVIIIème siècle )

" Il y a derrière les yeux des gens , une cité privée où n'entre personne.  Une cité avec tout le confort d'imagination possible. Les gens que tu vois chez toi, sont d'abord chez eux. Ils ne te voient pas.  Ils se singularisent dans l'immédiate et toujours constante défense de soi. Ils ont peur. Ils sont terribles, les gens. Ceux que tu appelles tes amis, ce sont d'abord  des gens remplis du moi qui les tient en laisse."

Léo Ferré : extrait de  " Basta

L'homme, le seul être qui se sente en sûreté dans la nature. Pour tous les autres, hormis les grands oiseaux de proie dans la solitude de la mer ou de l'Alpe, -- vivre, c'est avoir peur de perdre la vie. Tous les animaux meurent assassinés, guerre ou guet-apens. Quant à l'homme, faisant peau neuve de parchemin, il a mis la forêt primitive dans la cité, les mœurs, les préjugés et les lois.
 Puis l'homme apprend, à son tour, qu'il est dans la nature un animal parmi les animaux. Et il lui faut perdre toute sûreté. Il a ses assassins, les infiniment petits ; et les maladies aiguës, ses grands fauves."

André Suarès : Voici l'homme ( 1906 -1948 )

" Mais les corps avaient changé. La mutation datait des années quatre-vingt, à la croisée de l'apparition du sida et de la disparition de la gauche. Le plaisir n'avait pu se revancher de la fin des utopies. Le peuple, les masses n'effrayaient plus. Le danger, c'était désormais le corps de l'autre, le corps singulier, possiblement infecté, létal. Le soupçon gangrenait toute rencontre. Le sexe des hommes devaient se gainer de latex. Le port de la capote avait sonné le glas des acquis muqueux des années soixante-dix. Elle préservait de tout sauf de l'ennui. Le spleen avait pris ses quartiers dans un monde sans pitié, et l'angoisse muté plus vite que le virus du sida .À la peur de faire l'amour, se greffèrent celles de perdre son métier, de manger de la viande folle, d'attraper la grippe des oiseaux, de boire de l'eau du robinet, de respirer la fumée du voisin. À la peur s'engrenait la peur de la peur, déclenchant des épidémies de précautions, d'interdictions, relayées en continu, à flux tendu, sur des murs d'écrans. En trente ans, soumis à la pression d'une énorme accélération technique, les corps avaient subi un terrible effet de blast : hématomes psychiques, décrochages du cœur, descentes d'organes. Pris dans l'étau du soupçon, certains avaient tenté de s'innocenter, en présentant des surfaces enfantines, vierges ( femmes aux ventres glabres de poupées, hommes aux crânes lisses de baigneurs ). D'autres avaient pris les devants sur les chemins de l'abattoir, en se tatouant comme des quartiers de viande, ou en se perçant le nez, les lèvres, le nombril, les organes génitaux. Les plus fragiles, les plus démunis s'étaient exilés dans l'obésité ou l'anorexie..."

 

Jean-Marc Parisis : extrait de "La recherche de la couleur"  ditions Stock, 2012

Par Auteurs
M. de Kerangal
Sylvie Germain
Pirandello
Virginia Woolf
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