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Amitié/2

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" Les célèbres Entretiens de Confucius commencent par cette phrase : " C'est grande joie lorsqu'un ami vient de loin pour te voir. "... Parce que selon l'idéal confucéen, une amitié qui élève l'homme est fondée certes sur l'entente et la fidélité, mais aussi et avant tout sur une confiance infaillible, laquelle est une vertu suprême, puisque la doctrine morale confucéenne prend sa source dans la confiance sans faille en la rectitude du Ciel. Cette confiance qu'on place dans l'amitié est identique à celle qu'on accorde aux voies célestes. Pour plus de précision, j'ajouterai encore ceci : l'amitié, au sens noble, n'est pas une sorte de connivence entre compères ; un vrai ami, vous disant toujours la vérité, contribue à vous élever. Une maxime chinoise dit : " Un ami exigeant est supérieur à un maître sévère."... Une vraie amitié est rare ; elle est souvent unique... Je peux citer la phrase du grand écrivain chinois Lu Xun : " En cette vie, si l'on obtient ne fût-ce qu'une seule véritable amitié, on est comblé."

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François Cheng : "Entretiens avec Françoise Siri", Albin Michel, 2015

" Les amis véritables jouissent dans l'ordre moral de la perfection dont est doué l'odorat des chiens; ils flairent les chagrins de leurs amis, ils en devinent les causes, ils s'en préoccupent."

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Balzac : Le cousin Pons, 1847

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" [...] j'ai réalisé un film documentaire dans une bourgade russe, Kotelnitch. Le tournage s'est étalé sur plusieurs mois, au fil desquels ma petite équipe et moi avons rencontré pas mal de gens dont les plus intéressants, ceux qui avaient vocation à passer du statut de simples personnes à celui de personnages, étaient le chef de la police locale et sa jeune femme. Lui, Sacha, beau garçon, séduisant, mais aussi corrompu, alcoolique, paranoïaque, un jour nous mettant tous les bâtons possibles dans les roues, le lendemain nous prodiguant des déclarations d'amitié éternelle, à la russe. Elle, Anya, jolie, rêveuse, gentiment mythomane, adorant tout ce qui est français, émerveillée par notre présence comme si nous étions - c'était son expression - les rois mages. Ils nous intriguaient, nous les aimions bien. Et puis il s'est passé une chose atroce : Anya a été assassinée, découpée à la hache par un fou avec son bébé de huit mois. La rumeur a couru que Sacha y était pour quelque chose. Nous avons filmé le deuil, le repas de l'enterrement, le chagrin et les déchirements de la famille. De retour à Paris, j'ai commencé le montage et, chemin faisant, repéré des correspondances entre ce que nous avions vécu à Kotelnitch et, dans mon histoire personnelle, une de ces choses douloureuses qu'on appelle un secret de famille et qui peuvent hanter plusieurs générations. Au prix de beaucoup de larmes et de transgressions, j'ai donné un semblant de sépulture à un mort, mon grand-père maternel, que personne n'avait pu enterrer ni pleurer et qui était devenu un fantôme. J'ai entremêlé ces deux histoires : la leur, la mienne. Leur famille, ma famille, nos tragédies. Le montage fini, je suis retourné à Kotelnitch pour montrer le film à ceux qui en étaient devenus les acteurs, Sacha en tête. J'appréhendais sa réaction. Nous avons regardé ensemble la cassette VHS  que j'avais apportée sur sa télé, si vieille que j'étais étonné de voir les images en couleur. À la fin, Sacha m'a longuement dévisagé, en silence, et enfin dit ceci : " C'est bien. Tu n'es pas seulement venu prendre notre malheur : tu as apporté le tien."..."

 

Emmanuel Carrère : extrait de "Yoga", P.O.L. éditeur, 20

Par Auteurs
M. de Kerangal
Sylvie Germain
Pirandello
Virginia Woolf
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