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Nicolas_Bouvier_(1987)_by_Erling_Mandelm

Egoïsme

" Il est bien naturel que les gens d'ici n'en aient que pour les moteurs, les robinets, les haut-parleurs et les commodités. En Turquie, ce sont surtout ces choses-là qu'on vous montre,  et qu'il faut bien apprendre à regarder avec un œil nouveau. L'admirable mosquée de bois où vous trouveriez justement ce que vous êtes venu chercher, ils ne penseront pas à la montrer, parce qu'on est moins sensible à ce qu'on a qu'à ce dont on manque. Ils manquent de technique ; nous voudrions bien sortir de l'impasse dans laquelle trop de technique nous a conduits ; cette sensibilité saturée par l'Information, cette Culture distraite, au "second degré". Nous comptons sur leurs recettes pour revivre, eux sur les nôtres, pour vivre. On se croise en chemin sans toujours se comprendre, et parfois le voyageur s'impatiente ; mais il y a beaucoup d'égoïsme  dans cette impatience-là..."

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 Nicolas Bouvier : extrait de "L'usage du monde" à compte d'auteur, Librairie Droz, Genève,1963. Julliard, Paris, 1964...

Cette nuit là, la petite ville suffoquait de tout ce qu'il y avait d'obscur et de malfaisant, d'infect et de sordide, et qui éveillé, galvanisé, mis en émoi par l'arrivée des hitlériens, se portait à leur rencontre. Des caves et du fond des ravins, on vit sortir les traîtres, les pusillanimes...Des paroles flatteuses d'apostasie mûrissaient dans l'esprit des gens faibles ; des projets de vengeance naissaient pour une querelle de commère au marché, pour un mot échappé incidemment. Les cœurs se pénétraient de cruauté, d’égoïsme et d'indifférence. Les lâches, craignant pour eux-mêmes, méditaient de dénoncer leur voisin pour sauver leur propre peau. Il en fut ainsi dans toutes les villes, grandes ou petites, dans tous les pays, partout où les hitlériens posaient le pied. Un dépôt trouble remontait du fond des rivières et des lacs ; les crapauds émergeaient de l'eau ; les chardons envahissaient les champs de blé...

 

Vassili Grossman : " Années de guerre " 1946, Editions Autrement, Paris 1993

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" Aujourd'hui encore, des économistes, des hommes politiques, notamment dans le camp républicain aux Etats-Unis, émaillent de justifications naturalistes leurs discours prônant le chacun pour soi. A les entendre, puisque l'homme est naturellement égoiste, il serait contre-nature de proposer des réformes allant dans le sens de la solidarité ou d'une réduction des inégalités. Nous ne serions, disent-ils, que motivés par la conquête du pouvoir, l'accumulation de biens matériels, sans aucune considération pour les autres.

  Ces discours sont anciens. Darwin avait à peine publié que, déja, on lui faisait dire - au mépris de ses textes - que l'homme se devait d'être un loup pour l'homme. Au nom du struggle for life*, de la lutte pour la survie, ce qu'il n'a jamais écrit.

  Pour un biologiste, tout particulièrement pour un éthologue, c'est énervant, pour ne pas dire plus. A fortiori quand vous avez passé quarante ans à étayer la thèse inverse. Pour ma part, j'en suis sûr : le sens de la solidarité nous vient du fond des âges, il est profondément ancré dans notre nature.

 

*lutte pour la survie

 

 

Frans de Waal, entretien dans la revue XXI n° 12 novembre décembre 2010

Par Auteurs
M. de Kerangal
Sylvie Germain
Pirandello
Virginia Woolf
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